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Путешествие на край ночи

Книга для чтения на французском языке
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«Путешествие на край ночи» Луи-Фердинанда Селина — одно из важнейших произведений XX века, которое совершило переворот во французской литературе. Впервые разговорный язык, язык солдат и бродяг, был допущен в художественное произведение. История молодого врача, пережившего Первую мировую войну, работу в африканской колонии, во многом автобиографична. Правдивый рассказ героя о своей полной перипетий жизни шокирует и вызывает острую, неоднозначную реакцию читателей. Познакомьтесь с уникальным стилем Селина в оригинале!
Селин, Л. Путешествие на край ночи : книга для чтения на французском языке : художественная литература / Л. Селин. - Санкт-Петербург : КАРО, 2023. - 512 с. - (Littérature contemporaine). - ISBN 978-5-9925-1311-0. - Текст : электронный. - URL: https://znanium.ru/catalog/product/2136061 (дата обращения: 16.05.2024). – Режим доступа: по подписке.
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УДК 372.8
ББК 81.2 Фр-93
          С29

ISBN 978-5-9925-1311-0

Селин, Луи-Фердинанд.

С29 
Путешествие на край ночи : Книга для чтения на 

французском языке / Л.-Ф. Селин. — Санкт-Петербург : 
КАРО, 2023. — 512 с. (Littérature contemporaine).

ISBN 978-5-9925-1311-0.

«Путешествие на край ночи» Луи-Фердинанда Селина — одно 

из важнейших произведений XX века, которое совершило переворот 
во французской литературе. Впервые разговорный язык, язык 
солдат и бродяг, был допущен в художественное произведение. 
История молодого врача, пережившего Первую мировую войну, 
работу в африканской колонии, во многом автобиографична. 
Правдивый рассказ героя о своей полной перипетий жизни шокирует 
и вызывает острую, неоднозначную реакцию читателей. 
Позна комьтесь с уникальным стилем Селина в оригинале!

УДК 372.8 

ББК 81.2 Фр-93

© КАРО, 2023
Все права защищены
À Elisabeth Craig 

Notre vie est un voyage 
Dans l’hiver et dans la Nuit, 
Nous cherchons notre passage 
Dans le Ciel où rien ne luit.

Chanson des Gardes Suisses, 1793

Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout 

le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est 
entièrement imaginaire. Voilà sa force.

Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout 

est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le 
dit, qui ne se trompe jamais.

Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de 

fermer les yeux.

C’est de l’autre côté de la vie.
Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est 

Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin 
lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était 
après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. « Restons pas 
dehors! qu’il me dit. Rentrons! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette 
terrasse, qu’il commence, c’est pour les œufs à la coque! Viens 
par ici! » Alors, on remarque encore qu’il n’y avait personne dans 
les rues, à cause de la chaleur; pas de voitures, rien. Quand il 
fait très froid, non plus, il n’y a personne dans les rues; c’est lui, 
même que je m’en souviens, qui m’avait dit à ce propos: « Les 
gens de Paris ont l’air toujours d’être occupés, mais en fait, ils se 
promènent du matin au soir; la preuve, c’est que lorsqu’il ne fait 
pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit 
plus; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des 
bocks. C’est ainsi! Siècle de vitesse! qu’ils disent. Où ça? Grands 
changements! qu’ils racontent. Comment ça? Rien n’est changé 
en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas 
nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même 
parmi les mots, qui sont changés! Deux ou trois par-ci, par-là, des 
petits… » Bien fiers alors d’avoir fait sonner ces vérités utiles, on 
est demeurés là assis, ravis, à regarder les dames du café.

Après, la conversation est revenue sur le Président Poincaré 

qui s’en allait inaugurer, justement ce matin-là, une exposition 
de petits chiens; et puis, de fil en aiguille, sur le Temps où c’était 
écrit. « Tiens, voilà un maître journal, le Temps! » qu’il me ta-
quine Arthur Ganate, à ce propos. « Y en a pas deux comme lui 
pour défendre la race française! — Elle en a bien besoin la race 
française, vu qu’elle n’existe pas! » que j’ai répondu moi pour 
montrer que j’étais documenté, et du tac au tac.

« Si donc! qu’il y en a une! Et une belle de race! qu’il insistait 

lui, et même que c’est la plus belle race du monde et bien cocu 
qui s’en dédit! » Et puis, le voilà parti à m’engueuler. J’ai tenu 
ferme bien entendu.

« C’est pas vrai! La race, ce que t’appelles comme ça, c’est 

seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chas-
sieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, 
la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins 
du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. 
C’est ça la France et puis c’est ça les Français.

— Bardamu, qu’il me fait alors gravement et un peu triste, 

nos pères nous valaient bien, n’en dis pas de mal!..

— T’as raison, Arthur, pour ça t’as raison! Haineux et dociles, 

violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient bien! 
Tu peux le dire! Nous ne changeons pas! Ni de chaussettes, ni 
de maîtres, ni d’opinions, ou bien si tard, que ça n’en vaut plus 
la peine. On est nés fidèles, on en crève nous autres! Soldats 
gratuits, héros pour tout le monde et singes parlants, mots qui 
souffrent, on est nous les mignons du Roi Misère. C’est lui qui 
nous possède! Quand on est pas sages, il serre… On a ses doigts 
autour du cou, toujours, ça gêne pour parler, faut faire bien 
attention si on tient à pouvoir manger… Pour des riens, il vous 
étrangle… C’est pas une vie…

— Il y a l’amour, Bardamu!
— Arthur, l’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches 

et j’ai ma dignité moi! que je lui réponds.

— Parlons-en de toi! T’es un anarchiste et puis voilà tout! » 
Un petit malin, dans tous les cas, vous voyez ça d’ici, et tout 

ce qu’il y avait d’avancé dans les opinions.

« Tu l’as dit, bouffi, que je suis anarchiste! Et la preuve la 

meilleure, c’est que j’ai composé une manière de prière venge-
resse et sociale dont tu vas me dire tout de suite des nouvelles: 
LES AILES EN OR! C’est le titre!.. » Et je lui récite alors:

Un Dieu qui compte les minutes et les sous, un Dieu désespéré, 

sensuel et grognon comme un cochon. Un cochon avec des ailes en 
or qui retombe partout, le ventre en l’air, prêt aux caresses, c’est 
lui, c’est notre maître. Embrassons-nous!

« Ton petit morceau ne tient pas devant la vie, j’en suis, moi, 

pour l’ordre établi et je n’aime pas la politique. Et d’ailleurs le 
jour où la patrie me demandera de verser mon sang pour elle, 
elle me trouvera moi bien sûr, et pas fainéant, prêt à le donner. 
» Voilà ce qu’il m’a répondu.

Justement la guerre approchait de nous deux sans qu’on s’en 

soye rendu compte et je n’avais plus la tête très solide. Cette 
brève mais vivace discussion m’avait fatigué. Et puis, j’étais ému 
aussi parce que le garçon m’avait un peu traité de sordide à cause 
du pourboire. Enfin, nous nous réconciliâmes avec Arthur pour 
finir, tout à fait. On était du même avis sur presque tout.

« C’est vrai, t’as raison en somme, que j’ai convenu, conciliant, 

mais enfin on est tous assis sur une grande galère, on rame tous 
à tour de bras, tu peux pas venir me dire le contraire!.. Assis sur 
des clous même à tirer tout nous autres! Et qu’est-ce qu’on en a? 
Rien! Des coups de trique seulement, des misères, des bobards 
et puis des vacheries encore. On travaille! qu’ils disent. C’est ça 
encore qu’est plus infect que tout le reste, leur travail. On est en 
bas dans les cales à souffler de la gueule, puants, suintants des 
rouspignolles, et puis voilà! En haut sur le pont, au frais, il y a 
les maîtres et qui s’en font pas, avec des belles femmes roses et 
gonflées de parfums sur les genoux. On nous fait monter sur le 
pont. Alors, ils mettent leurs chapeaux haut de forme et puis ils 
nous en mettent un bon coup de la gueule comme ça: “Bandes 
de charognes, c’est la guerre! qu’ils font. On va les aborder, les 
saligauds qui sont sur la patrie n° 2 et on va leur faire sauter 
la caisse! Allez! Allez! Y a de tout ce qu’il faut à bord! Tous en 
chœur! Gueulez voir d’abord un bon coup et que ça tremble: Vive 
la Patrie n° I! Qu’on vous entende de loin! Celui qui gueulera le 
plus fort, il aura la médaille et la dragée du bon Jésus! Nom de 
Dieu! Et puis ceux qui ne voudront pas crever sur mer, ils pour-
ront toujours aller crever sur terre où c’est fait bien plus vite 
encore qu’ici!” 

— C’est tout à fait comme ça! » que m’approuva Arthur, 

décidément devenu facile à convaincre.

Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions at-

tablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant 
sur son cheval, et même qu’il avait l’air bien gentil et richement 
gaillard, le colonel! Moi, je ne fis qu’un bond d’enthousiasme.

« J’ vais voir si c’est ainsi! que je crie à Arthur, et me voici 

parti à m’engager, et au pas de course encore.

— T’es rien c… Ferdinand! » qu’il me crie, lui Arthur en 

retour, vexé sans aucun doute par l’effet de mon héroïsme sur 
tout le monde qui nous regardait.

Ça m’a un peu froissé qu’il prenne la chose ainsi, mais ça m’a 

pas arrêté. J’étais au pas. « J’y suis, j’y reste! » que je me dis.

« On verra bien, eh navet! » que j’ai même encore eu le temps 

de lui crier avant qu’on tourne la rue avec le régiment derrière 
le colonel et sa musique. Ça s’est fait exactement ainsi.

Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu’il y en 

avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes 
qui nous poussaient des encouragements, et qui lançaient des 
fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y 
en avait des patriotes! Et puis il s’est mis à y en avoir moins 
des patriotes… La pluie est tombée, et puis encore de moins 
en moins et puis plus du tout d’encouragements, plus un seul, 
sur la route.

Nous n’étions donc plus rien qu’entre nous? Les uns derrière 

les autres? La musique s’est arrêtée. « En résumé, que je me suis 
dit alors, quand j’ai vu comment ça tournait, c’est plus drôle! 
C’est tout à recommencer! » J’allais m’en aller. Mais trop tard! 
Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On 
était faits, comme des rats.

Une fois qu’on y est, on y est bien. Ils nous firent monter à 

cheval et puis au bout de deux mois qu’on était là-dessus, remis à 
pied. Peut-être à cause que ça coûtait trop cher. Enfin, un matin, 
le colonel cherchait sa monture, son ordonnance était parti avec, 
on ne savait où, dans un petit endroit sans doute où les balles 
passaient moins facilement qu’au milieu de la route. Car c’est là 
précisément qu’on avait fini par se mettre, le colonel et moi, au 
beau milieu de la route, moi tenant son registre où il inscrivait 
des ordres.

Tout au loin sur la chaussée, aussi loin qu’on pouvait voir, il y 

avait deux points noirs, au milieu, comme nous, mais c’était deux 
Allemands bien occupés à tirer depuis un bon quart d’heure.

Lui, notre colonel, savait peut-être pourquoi ces deux gens-là 

tiraient, les Allemands aussi peut-être qu’ils savaient, mais 
moi, vraiment, je savais pas. Aussi loin que je cherchais dans 
ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands. J’avais 
toujours été bien aimable et bien poli avec eux. Je les connaissais 
un peu les Allemands, j’avais même été à l’école chez eux, étant 
petit, aux environs de Hanovre. J’avais parlé leur langue. C’était 
alors une masse de petits crétins gueulards avec des yeux pâles 
et furtifs comme ceux des loups; on allait toucher ensemble les 
filles après l’école dans les bois d’alentour, où on tirait aussi à 
l’arbalète et au pistolet qu’on achetait même quatre marks. On 
buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant 
dans le coffret, sans même venir nous parler d’abord et en plein 
milieu de la route, il y avait de la marge et même un abîme. Trop 
de différence.

La guerre en somme c’était tout ce qu’on ne comprenait pas. 

Ça ne pouvait pas continuer.

Il s’était donc passé dans ces gens-là quelque chose d’extra-

ordinaire? Que je ne ressentais, moi, pas du tout. J’avais pas dû 
m’en apercevoir…

Mes sentiments toujours n’avaient pas changé à leur égard. 

J’avais comme envie malgré tout d’essayer de comprendre leur 
brutalité, mais plus encore j’avais envie de m’en aller, énormé-
ment, absolument, tellement tout cela m’apparaissait soudain 
comme l’effet d’une formidable erreur.

« Dans une histoire pareille, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à 

foutre le camp », que je me disais, après tout…

Au-dessus de nos têtes, à deux millimètres, à un millimètre 

peut-être des tempes, venaient vibrer l’un derrière l’autre ces 
longs fils d’acier tentants que tracent les balles qui veulent vous 
tuer, dans l’air chaud d’été.

Jamais je ne m’étais senti aussi inutile parmi toutes ces 

balles et les lumières de ce soleil. Une immense, universelle 
moquerie.

Je n’avais que vingt ans d’âge à ce moment-là. Fermes déser-

tes au loin, des églises vides et ouvertes, comme si les paysans 
étaient partis de ces hameaux pour la journée, tous, pour une 
fête à l’autre bout du canton, et qu’ils nous eussent laissé en 
confiance tout ce qu’ils possédaient, leur campagne, les char-
rettes, brancards en l’air, leurs champs, leurs enclos, la route, les 
arbres et même les vaches, un chien avec sa chaîne, tout quoi. 
Pour qu’on se trouve bien tranquilles à faire ce qu’on voudrait 
pendant leur absence. Ça avait l’air gentil de leur part. « Tout 
de même, s’ils n’étaient pas ailleurs! — que je me disais — s’il y 
avait encore eu du monde par ici, on ne se serait sûrement pas 
conduits de cette ignoble façon! Aussi mal! On aurait pas osé 
devant eux! Mais, il n’y avait plus personne pour nous surveiller! 
Plus que nous, comme des mariés qui font des cochonneries 
quand tout le monde est parti. » 

Je me pensais aussi (derrière un arbre) que j’aurais 

bien voulu le voir ici moi, le Déroulède dont on m’avait tant 
parlé, m’expliquer comment qu’il faisait, lui, quand il prenait 
une balle en plein bidon.

Ces Allemands accroupis sur la route, têtus et tirailleurs, 

tiraient mal, mais ils semblaient avoir des balles à en revendre, 
des pleins magasins sans doute. La guerre décidément, n’était 
pas terminée! Notre colonel, il faut dire ce qui est, manifestait 
une bravoure stupéfiante! Il se promenait au beau milieu de la 
chaussée et puis de long en large parmi les trajectoires aussi 
simplement que s’il avait attendu un ami sur le quai de la gare, 
un peu impatient seulement.

Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, 

j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste, avec ses 
bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont 
jamais et ses chemins qui ne vont nulle part. Mais quand on y 
ajoute la guerre en plus, c’est à pas y tenir. Le vent s’était levé, 
brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs 
rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas 
sur nous. Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais 
tout en nous entourant de mille morts, on s’en trouvait comme 
habillés. Je n’osais plus remuer.

Le colonel, c’était donc un monstre! À présent, j’en étais 

assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas! Je conçus 
en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui 
dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute 
dans l’armée d’en face. Qui savait combien? Un, deux, plusieurs 
millions peut-être en tout? Dès lors ma frousse devint panique. 
Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait 
continuer indéfiniment… Pourquoi s’arrêteraient-ils? Jamais je 
n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des 
choses.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre? pensais-je. Et avec 

quel effroi!.. Perdu parmi deux millions de fous héroïques et dé-
chaînés et armés jusqu’aux cheveux? Avec casques, sans casques, 
sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, 
comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant 
dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre, comme dans 
un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Conti-
nents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, 
adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois 
plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux! Nous 
étions jolis! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué 
dans une croisade apocalyptique.

On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. 

Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant 
la place Clichy? Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment 
dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et 
fainéante des hommes? À présent, j’étais pris dans cette fuite 
en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait 
des profondeurs et c’était arrivé.

Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, 

sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite 
menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune 
d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette abomination? 
On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise? Abo-
minable erreur? Maldonne? Qu’on s’était trompé? Que c’était 
des manœuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des 
assassinats! Mais non! « Continuez, colonel, vous êtes dans la 
bonne voie! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des 
Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une 
enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de la liaison, que 
la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais 
fait mon frère peureux de ce garçon-là! Mais on n’avait pas le 
temps de fraterniser non plus.

Donc pas d’erreur? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme 

ça, sans même se voir, n’était pas défendu! Cela faisait partie des 
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